Jean-Guy Pilon
Recours au pays (extraits)
II
Auras-tu cette patience sans limite du pays pour répéter les paroles que je t’apprendrai, au fur et à mesure des lacs et des montagnes, des hivers et de la pluie ?
Aurai-je ce don des langues sans lequel le mot patrie n’aurait plus de vérité ?
Nous sommes à la naissance d’un pays à reconnaître. Nourris de l’attention calme des découvreurs, nous savons que nous sommes seuls.
V
L’exigence du pays !
Qui suis-je donc pour affronter pareilles étendues, pour comprendre cent mille lacs, soixante-quinze fleuves, dix chaînes de montagnes, trois océans, le pôle nord et le soleil qui ne se couche jamais sur mon pays ?
Où planter ma maison dans cette infinitude et ces grands vents ? De quel côté placer le potager ? Comment dire, en dépit des saisons, les mots quotidiens, les mots de la vie : femme, pain, vin ?
Il y a des pays pour les enfants, d’autres pour les hommes, quelques-uns pour les géants…
Avant de savoir les mots pour vivre, il est déjà temps d’apprendre à mourir.
VII
Je suis d’un pays qui est comme une tache sous le pôle, comme un fait divers, comme un film sans images.
Comment réussir à dompter les espaces et les saisons, la forêt et le froid ? Comment y reconnaître mon visage ?
Ce pays n’a pas de maîtresse : il s’est improvisé. Tout pourrait y naître ; tout peut y mourir.
XIII
Qu’est-ce qu’un pays ? Une terre sauvage dont on ne voit jamais la fin ou les très chauds bras des filles dans toutes les villes du monde ?
Les nuées d’hirondelles ou les forêts d’automne dévorés de couleur et de feu nous feront-elles oublier une seule nuit d’oubli ?
Vient un jour où chaque homme rencontre son pays et lui dit oui à jamais.
PILON, Jean-Guy, Recours au pays, Montréal, l’Hexagone, 1961.