Nadine Trintignant : Combien d’enfants ( Ed. Stock – 2001 ) – Roman –
L’itinéraire de deux jeunes femmes séparées de leurs enfants pendant la seconde guerre mondiale
Son sourire… Dès leur première rencontre, elle avait su que désormais sa vie avait changé. Elle avait un but : rendre cet homme heureux. Ils étaient jeunes, avaient vécu proches comme les rameaux d’un même arbre. Durant l’été, le soir les retrouvait assis sur les billots de bois. Ils chantaient ensemble.
Depuis qu’il était parti, elle avait perdu le goût.
Peut-être quelque part une vieille comme elle réchauffe son mari en chantant… Peut-être. Comment savoir ?
[…] Est-il encore possible que son mari revienne ? Un matin dans le soleil aveuglant, elle verra sa haute silhouette franchir la barrière. Il la serrera dans ses bras. La vie reprendra son cours. Ils verront les saisons changer et en auront du bonheur. Comme avant. Ils se savaient heureux ensemble sans jamais se le dire. Ni l’un ni l’autre ne connaissaient les mots. Ils se regardaient et riaient ensemble. Ils chantaient aussi.
Depuis qu’il était parti, elle avait perdu le goût.
Peut-être quelque part une vieille comme elle réchauffe son mari en chantant… Peut-être. Comment savoir ?
[…] Est-il encore possible que son mari revienne ? Un matin dans le soleil aveuglant, elle verra sa haute silhouette franchir la barrière. Il la serrera dans ses bras. La vie reprendra son cours. Ils verront les saisons changer et en auront du bonheur. Comme avant. Ils se savaient heureux ensemble sans jamais se le dire. Ni l’un ni l’autre ne connaissaient les mots. Ils se regardaient et riaient ensemble. Ils chantaient aussi.
Maman, c’est toi dans le cercueil.
Les hommes le descendent, accroché aux cordes. Avec un bruit sourd, il heurte le fond de la fosse. Je ne peux supporter ce bruit. Je vais à l’ombre de l’arbre d’où je te voyais, le dimanche, déposer des fleurs pour tes parents. […] Sans toi, je suis seul. [..] Dans le parc, j’ai couru loin pour ne plus les entendre. J’ai enfoncé mon visage dans l’herbe, dans la terre. Le plus profond possible. Il avait plu et l’odeur de la terre m’a un peu apaisé. Dans la maison, c’est celle des médicaments qui domine. Pauvre petite maman si délicate, si légère, et qui sentais la citronelle. Je t’aime tout le temps maintenant.
Les hommes le descendent, accroché aux cordes. Avec un bruit sourd, il heurte le fond de la fosse. Je ne peux supporter ce bruit. Je vais à l’ombre de l’arbre d’où je te voyais, le dimanche, déposer des fleurs pour tes parents. […] Sans toi, je suis seul. [..] Dans le parc, j’ai couru loin pour ne plus les entendre. J’ai enfoncé mon visage dans l’herbe, dans la terre. Le plus profond possible. Il avait plu et l’odeur de la terre m’a un peu apaisé. Dans la maison, c’est celle des médicaments qui domine. Pauvre petite maman si délicate, si légère, et qui sentais la citronelle. Je t’aime tout le temps maintenant.
Je me suis assis devant ta coiffeuse. Tu y restais longtemps. Erika te brossait les cheveux. Vous bavardiez. J’aimais m’asseoir dans un coin, par terre. Je rêvassais en entendant vos rires. Comme tout est vide désormais, et muet sans toi. Ton absence me domine. Dans la pénombre, un rayon de lune donne une brillance à ta brosse et à ton peigne d’écaille. Le dessus de lit de cashmere est trop bien tiré. Trop plat. On devine que le lit n’est pas fait. Dans ta penderie, j’ai ouvert toutes les portes en même temps. J’étais entouré de toi. De tes vêtements chatoyants, de tes fourrures, de tes escarpins si fins, si petits. J’ai respiré tes robes. Tu étais encore un petit peu là. Par terre, il y avait la montre gousset de papa qu’il cherche partout depuis quelques jours. Je l’ai prise.
Dans le jardin, il a cueilli des roses pourpres. Elle aimait les roses pourpres.
Il est allé dans tous les endroits favoris de sa mère, et dans chacun d’eux, il a déposé une rose. Pour elle.
Il est allé sur le pont qui enjambe la rivière. Il est resté là un long moment. Il avait envie de se tuer pour punir son père. Il imaginait son chagrin. Le voyait en larmes, serrant dans ses bras le corps inerte de son fils chéri. Il lui demandait pardon et chassait Lena.
Oskar ne s’est pas jeté du pont.
Un peu avant onze heures, il a grimpé sur le toit de la maison du tailleur qui fait face à la mairie. Il s’est mis à plat ventre pour ne pas être vu, et a pensé que ce serait drôle de glisser sans l’avoir voulu, de tomber du toit, et de rendre là son dernier soupir. Oskar adore l’idée de la mort. Il a quinze ans. Il a lu Goethe, Kleist et Nietzsche avec passion. A quinze ans, on est si peu menacé par elle, que la mort…
Il est allé dans tous les endroits favoris de sa mère, et dans chacun d’eux, il a déposé une rose. Pour elle.
Il est allé sur le pont qui enjambe la rivière. Il est resté là un long moment. Il avait envie de se tuer pour punir son père. Il imaginait son chagrin. Le voyait en larmes, serrant dans ses bras le corps inerte de son fils chéri. Il lui demandait pardon et chassait Lena.
Oskar ne s’est pas jeté du pont.
Un peu avant onze heures, il a grimpé sur le toit de la maison du tailleur qui fait face à la mairie. Il s’est mis à plat ventre pour ne pas être vu, et a pensé que ce serait drôle de glisser sans l’avoir voulu, de tomber du toit, et de rendre là son dernier soupir. Oskar adore l’idée de la mort. Il a quinze ans. Il a lu Goethe, Kleist et Nietzsche avec passion. A quinze ans, on est si peu menacé par elle, que la mort…
Il se dit que non, personne jamais n’est vraiment à personne, et on meurt de ne pas l’admettre. Ou peut-être l’enfant dans le ventre de sa mère. Peut-être. Rien n’est sûr.