Gatien Lapointe
Le chevalier de neige I (extraits)
Nous revenons par deux du cœur de la terre
Nos mains soutiennent l’aurore naissante
Mon pays est ce feu qui brûle sous la neige
Mon pays est ce mot dans la main d’un enfant
Nous planterons ici la première figure.
*
* *
[…]
Nous étendrons nos corps brûlants sur la neige
Nous soufflerons dans le cœur gelé des sources
Nous prendrons dans nos bras l’arbre tombé
Nous obligerons le printemps à naître
Irons-nous sans mourir jusqu’au bout des saisons ?
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* *
Au bas de l’horizon chaque soir
Nos corps comme deux amas de terre
Réinventent le premier amour.
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* *
La première maison à réchauffer
Le premier visage à nommer
Toute cette terre à pétrir de songes et de sang
Nos faces brûlent dans l’air vif d’hiver
Et l’été est un soleil impatient de mourir
Dans mon pays tout est excessif et lointain
Et nos bouches sont d’informes forêts
Et l’homme un chemin sans plan ni modèle
Comment sauverait-on les hommes
Notre espoir est un arbre patient et fidèle
Nos mains peuvent porter le poids du monde
Nous dirons cette terre attachée à nos corps
Et le flot farouche du fleuve
Et le vent vaste qui vient des trois océans
Nous dirons la peine qui nous prend chaque soir
Et le pas dur des hommes dans la neige
Et le cri des bêtes dans les bois solitaires
Nous crierons jusqu’au bout de notre souffle.
*
* *
Au haut de l’horizon chaque matin
Nos corps comme deux sources vives
Réinventent le premier paysage.
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* *
Nous avons fait un feu dans la neige très haute
Un chant commence au milieu de nos mains
La chaleur des graines qui germent
Les sillons comme des lèvres tremblantes
Le jour embrassant d’amour la nuit
Quelque chose poussera sur nos faces dévêtues
Des images éclateront dans nos prunelles
La douleur nous donnera des mots justes
Nous jetterons dans le monde un mot immortel
[…]
Je vois des jardins dans les yeux des femmes
Et un grand fleuve où rêvent les chevaux
Je vois des automnes plus longs qu’éternité
Et des printemps plus beaux que ciel
Je vois un enfant ôter de la main la neige
Et tracer sur le sol le nom de son pays
Je vois tout un peuple se lever dans sa main
Nous planterons ici la première parole.
*
* *
[…]
LAPOINTE, Gatien, Ode au Saint-Laurent précédée de J’appartiens à la terre, Trois-Rivières, Éditions du Zéphyr, 1985, 98p.