Gatien Lapointe
Dieu ou l’homme

J’épelle dans ma main le nom de chaque chose
Je dessine la première cité
L’odeur de la terre remplit ma face
La terre est en moi comme un arbre
Plein de passion et plein de nuit

Je vous rencontrerai à l’appel des mouettes
La mer soudain se lève sur sa hanche bleue
Et l’horizon retentit de nouvelles

Chaque événement me ramène au monde

Je reconnais les armes du bonheur
Haut navire amarré à mon épaule
C’est aujourd’hui l’enfance du soleil
Et la continuité de la chair dans la mort

Je ne supprime rien de l’espace de l’homme
Ma main sauve chaque espérance
Je nommerai la terre très fidèle
Amour ô rives de toutes faiblesses
Je fête la présence nécessaire

Un éclair garantit mon rêve dans l’orage

J’ai pris de la terre dans mes deux mains
J’ai bouché mes yeux avec de la terre
J’ai mis de la salive sur mes plaies
Je m’éveille en nommant tout ce que j’aime

Matin maladroit sur les doigts de l’homme

Je tiens ma face à la hauteur des arbres
J’apprends la patience de la rivière
Le récit des morts rapproche nos têtes

Ô mer cette grande hirondelle bleue
Naviguant sur les lignes de ma main
C’est ici que je vous reconnaîtrai
D’un pas j’éveillerai la mémoire du feu
D’un mot j’élèverai les figures du temps

Ma main en visière sur la montagne
J’apporte l’ombre et la lumière
J’apporte la chaleur d’un visage qui naît

Ce jour gardera-t-il mon nom toute l’année ?

LAPOINTE, Gatien, Ode au Saint-Laurent précédée de J’appartiens à la terre, Trois-Rivières, Éditions du Zéphyr, 1985, 98p.