L’offrande des pigeons-nymphes
Gloire au Maître !
Comme la prophétie en avait été faite, le Vénérable Milarépa quitta Yölmo pour le Tibet. Dans une grotte de Kouthang, il demeurait en la sphère de la claire lumière, seul et aussi solidement immobilisé qu’un rhinocéros, lorsqu’un pigeon survînt qui portait un pendentif d’or à l’oreille. L’oiseau courba la tête très bas,inclina son corps par manière de salutation et, après avoir tourné plusieurs fois autour de l’ermite, s’envola et disparut dans la surface immaculée d’une roche, au ras du sol. Milarépa, sachant qu’il s’agissait d’une invite des êtres non humains, partit pour le lieu de celle-ci. Là se trouvait un amoncellement de riz blanc. Le pigeon y planta son bec en signe d’offrande et, après avoir salué et tourné comme auparavant, il s’envola. Emerveillé, réjoui, le Jetsün dit ce chant:
L’EMERVEILLEMENT AUTHENTIQUE
O vous Gracieux Marpa du Lhobrag !
Je médite en mon cœur des souvenirs ardents,
Je prie de ne jamais être séparé de vous.
Quel bonheur, la fusion de son propre esprit avec le Guru !
Quelle joie ce caractère naturel des apparences !
Le non-né une fois identifié au Corps de Vérité
Le naturel s’est fondu en ce divin Corps.
Peu m’importe les vues hautes ou basses,
L’esprit en son authenticité m’est bonheur.
La nature de l’esprit est le Vide et la clarté.
Ces caractères une fois identifiés à la sapience,
Le naturel s’est fondu dans l’originel.
Peu m’importent mes bonnes ou mauvaises méditations,
L’esprit en son authenticité m’est bonheur.
Les sens et leurs objets scintillent d’eux-mêmes.
Une fois discernée l’absence de dualité entre sujet et objet,
La félicité, le chagrin, se sont mêlé en un.
Restant dans le domaine du primordial,
Peu m’importe que cela soit ou ne soit pas l’activité.
L’esprit en son authenticité m’est bonheur.
La nature du Corps de Dharma est fructueuse ;
Une fois identifiée aux divers Corps d’Emanations,
Les rencontres se sont mêlées à l’univers de la délivrance.
Je n’aspire plus à l’avènement de la réussite.
L’esprit en son authenticité m’est bonheur.
Alors que le Jetsün avait ainsi chanté, le pigeon revint entouré de sept compagnons. Comme avant, ils saluèrent et tournèrent autour du Vénérable qui, par devers lui, se dit : » Il s’agit d’êtres non humains, voyons voir s’ils parlent sincèrement ou non. «
– Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous venus ? leur demanda-t-il.
Les nymphes célestes renoncèrent soudain à leur apparence illusoire et révélèrent leur propre corps. Leur maîtresse, celle qui était apparue la première, dit :
– Nous sommes filles de dévas. Nous avons foi en vous et sommes venues pour vous demander le Dharma. Pour leur répondre, Milarépa dit ce chant :
AFIN de PRATIQUER la NOBLE et PURE LOI de l’Existence
Seigneur Guru aux étonnantes Emanations,
Accordez-moi un peu de votre compassion !
Vous qui exhibez un corps de colombe bleutée,
Votre artifice est en accord avec la Doctrine.
Vous les huit ravissantes filles de dévas,
Si vous pensez pratiquer le noble et pur Dharma,
Je vous prie de garder ce chant en mémoire.
Le bonheur de l’existence mondaine,
Bien qu’il semble si doux, rapidement se déchire.
Le statut des femmes de haute et noble condition,
Bien qu’il semble si élevé, n’a aucune stabilité.
Dans l’affliction du tourbillon des vies, un époux
Semble bien attrayant, mais accroît la souffrance.
Le rejeton d’une bonne ascendance,
Quelle misère s’il n’exerce aucune emprise sur lui-même.
Le disciple d’un sage Lama,
S’il agit mal, roulera au bas du samsâra.
Les déesses qui s’incarnent en pigeons
Demandent le Dharma mais le croient difficilement.
Quoi qu’il en soit si vous pratiquez la Doctrine,
Les avantages terrestres, les sentiments de pertes,
Les mauvaises influences survenues en cette vie,
A coup sûr reconnaissez-les comme amis de l’Eveil !
Ma gratitude envers les méchantes circonstances est grande.
Vous aussi, agissez en sachant qu’il en est ainsi !
Il a chanté.
Les nymphes dirent désirer qu’il en soit ainsi. Elles souriaient, se courbaient et tournaient autour du Jetsün.
Pour les instruire, il dit ce chant :
INSTRUCTIONS POUR DES FILLES DE DEVAS
Je me prosterne aux pieds de Marpa du Lhobrag.
Lama mon père, accordez-moi votre grâce et de divins pouvoirs.
La perfection d’un riz blanc, je l’ai goûtée dans la contemplation.
Il a nourri mon corps ; mes pratiques en ont profité.
Je réponds à votre bonté par un enseignement,
Préparez-vous à une écoute attentive.
Cette position royale des blancs dévas,
Vous l’avez atteinte mais elle est irréelle.
L’amour des jeunes enfants divins
Semble joyeux mais très vite se décompose.
L’imposture des mirages de l’esprit
Accroît la jouissance mais cause la chute.
La souffrance du cycle des six existences,
Si l’on y réfléchit, lève une terrible indignation.
Si donc vous décidiez de pratiquer le noble Dharma,
Implorez les Trois précieux Protecteurs du Refuge !
Songez aux êtres des six mondes comme s’ils étaient vos pères et mères !
Offrez au Guru, distribuez aux indigents !
Dédiez vos mérites à tous les vivants !
Pensez toujours qu’inconnu est le temps de la mort !
Votre corps mêlé à celui de la divinité tutélaire,
Exprimez-vous par le mantra profond !
Méditez la vacuité et la sagesse innée !
En témoin, sans cesse pénétrez votre propre esprit !
Ainsi il a chanté.
Les nymphes célestes dirent :
– Nous vous prions de nous donner un enseignement sur lequel nous reposer et qui soit une aide spirituelle. Nous le garderions en mémoire lors des manifestations de la misère mentale encore accrochée à l’esprit des êtres ignorants que nous sommes.
INSTRUCTIONS
ANTIDOTES AUX EMOTIONS PERTURBATRICES
Je me prosterne aux pieds de Marpa le Bienfaiteur.
Qu’il m’accorde la faveur de bons antidotes !
Vous qui possédez la foi, jeunes filles divines,
Exercez-vous continuellement à la pratique,
Méditez l’apaisement absolu de l’esprit,
Et la miséricorde, tel un ornement, grandira.
Créez aussitôt les remèdes à votre expression,
Et la quiétude du corps et des mots, en ornement grandira.
Observez constamment votre état intérieur,
Et la réduction de l’activisme, un ornement deviendra.
Frappées par de mauvais effets,
Guettez ! De peur que la colère ne monte.
Sur le point d’atteindre aux richesses convoitées,
Soyez vigilantes ! De peur que la passion n’apparaisse.
Touchées par le tranchant de mots déplaisants,
Prenez garde ! De peur d’une erreur d’audition.
Dans l’alliance avec vos amis,
Méfiez-vous ! De peur des jalousies naissantes.
Tandis que vous recevez des hommages,
Observez ! De peur que l’orgueil ne surgisse.
En toute occasion, à tout moment,
Matez le sorcier de votre vil héritage !
Quelle que soit votre position,
Méditez tout ce qui paraît, comme illusoire et Vide.
Même cent vénérables érudits
Ne diraient pas plus que cela.
Pratiquez et méditez avec joie !
Exultantes de satisfaction, les déesses s’incarnèrent de nouveau en pigeons et partirent pour la contrée des dieux.