La réalisation de Retchungpa

LES DOUZE BONHEURS DU YOGI

Le yogi qui renonce à sa terre est heureux
Comme un condamné réchappé de son trou.

Le yogi qui perd le réflexe de saisir et juger est heureux
Comme un cheval libéré des entraves.

Le yogi qui habite la solitude est paisible
Comme une bête blessée tapie en son repaire.

Le yogi assuré de sa philosophie est heureux
Comme l’oiseau royal à l’assaut de l’azur.

Le yogi qui tout pénètre est heureux
Comme le vent vagabond dans les cieux.

Le yogi qui protège le vide radieux de son inspiration est heureux
Comme le pâtre dévoué au soin de ses brebis.

Le yogi que rien n’ébranle est heureux
A l’image du Mont Sumeru au centre du monde.

Le yogi qui n’interrompt pas son expérience est heureux
A l’image du flot continu des grands fleuves.

Le yogi qui refuse les devoirs est tranquille
A l’égal du cadavre dans un cimetière.

Le yogi qui ne régresse plus est beau
Comme la pierre métamorphosée par l’océan.

Le yogi qui tout embrase de ses reflets est beau
Comme le soleil à l’horizon.

Le yogi qui ne crée rien pour l’avenir est léger
Comme le palmier fraîchement taillé.

Bienfaiteurs, cette mélodie des douze bonheurs du yogi
Est un enseignement qui répond à vos questions.

LES DOUZES SEDUCTIONS

Les phénomènes du monde semblent bien décevants.
Aussi je cherche le but parfait.

Les distractions communes semblent bien décevantes.
J’expérimente donc la non-dualité.

Serviteurs et entourage semblent bien décevants.
Aussi, solitaire, je marche au désert.

Les possessions terrestres semblent bien décevantes.
Si j’en détiens, je les donne au dharma.

Le monde des objets extérieurs semble bien décevant.
J’observe mon esprit, au-dedans.

La ronde des idées semble bien décevante.
Je suis en quête de la sagesse ultime.

Les principes conventionnels semblent bien décevants.
Aussi je m’établis dans l’absolue vérité.

Les livres imprimés semblent bien décevants.
Je médite les conseils de la transmission orale.

Les exégèses convenues semblent bien décevantes.
Je m’abandonne librement à l’état de nature.

Les naissances et les morts semblent bien décevantes.
Alors je tends au dessein de la non-création.

La connaissance ordinaire semble bien décevante.
Aussi je m’entraîne à l’agile sapience.

La méditation formelle semble bien décevante.
Je reste dans la sphère de la simple réalité.

LA SUPPLIQUE DE RETCHUNGPA

En lui-même Rétchungpa se dit :  » Assurément il n’y a pas d’illusion chez le Lama, ce véritable éveillé. Mais il a chanté en pensant aux défauts de tous les incapables tels que moi. « 

Et le disciple offrit ce chant de l’essence de la Vue, de la Méditation et de l’Activité telles qu’il les percevaient.

Ecoutez vénérable Lama mon père !
Quelle infortune que cet esprit sombre et confus,
Puissiez-vous m’entraîner par votre compassion !

A la frontière du néant et de l’éternel,
La vue sans limites déjà se perd.
Je n’ai pas, en sa nature, fixé la réalité.

A la frontière de l’indolence et de la distraction,
La méditation claire et joyeuse déjà se perd.
Je n’ai pas réussi à briser tous les attachements.

A la frontière de la capture et du rejet,
Une conduite libre et spontanée déjà se perd.
Je n’ai pas réussi à ruiner l’illusion.

A la frontière de la ruse et de l’imposture,
La pureté du vœu tantrique déjà se perd.
Je n’ai pas écrasé tous les artifices.

A la frontière de samsâra et nirvâna,
L’esprit pareil au Bouddha déjà se perd.
Je n’ai pas reconnu le corps de vérité.

A la frontière de la crainte et de l’espoir,
Les quatre corps et le Fruit déjà se perdent.
Je n’ai pas de moi-même discerné mon visage.

Père Lama, précieux vénérable,
Je fus jadis protégé par votre grâce,
Je vous prie de me préserver aussi d’une séparation.

Ainsi a-t-il supplié.

CHANT DES SEPT DECOUVERTES

– Rétchungpa, tu as fait des expériences qui ne ressemblent pas à celles-là. Comme le secret ne convient pas avec moi, parle franchement !

Ainsi dit Milarépa, et par l’amour du Maître, à l’instant jaillit la réalisation de Rétchungpa. Aussi offrit-il ce chant des sept découvertes.

Par la bonté du Jetsün,
J’ai réalisé le sens de sept découvertes.

Dans les apparences j’ai trouvé shunyatâ.
Je ne pense plus qu’existe la réalité matérielle.

Dans la vacuité j’ai trouvé le Corps de Vérité.
Je ne pense plus à l’effort pour agir.

Dans les multiples manifestations j’ai trouvé l’unité.
Je ne pense plus à séparer ni à réunir.

Dans les visions claires ou sombres j’ai trouvé l’équanimité parfaite.
Je ne pense plus aux retards ni aux accomplissements.

Dans ce corps de chair j’ai trouvé la félicité.
Je ne pense plus que la douleur existe.

Dans la vérité relative j’ai trouvé la vérité ultime.
Je ne pense plus connaître d’égarements.

Dans mon propre esprit j’ai trouvé le Bouddha.
Je ne pense plus à la transmigration.

– Rétchungpa, reprit le Jetsün, ceci n’est pas la véritable réalisation, mais seulement de justes expériences que tu as méditées. Il en est véritablement ainsi de la connaissance de la méditation :

LES HUIT PARFAITES MAITRISES

Dans la non-distinction des apparences et du Vide,
La vue atteint à la perfection.

Quand le rêve et la veille ne se distinguent plus,
La méditation atteint à la perfection.

Quand bonheur et vacuité ne se distinguent plus,
Le comportement atteint à la perfection.

Quand aujourd’hui et demain ne se distinguent plus,
La philosophie atteint à la perfection.

Quand esprit et espace ne se distinguent plus,
Le dharmakâya atteint à la perfection.

Quand malheur et ravissement ne se distinguent plus,
Les instructions atteignent à la perfection.

Quand misère et sagesse ultime ne se distinguent plus,
Toutes les réalisations atteignent à la perfection.

Quand l’esprit ne se distingue plus du Bouddha,
Le but parfait est là.

Ainsi a-t-il chanté.

Par la grâce du Vénérable, Rétchungpa perfectionna sa réalisation et offrit ce chant des Six Etats Intermédiaires, connaissance ultime reçue en son cœur :

LES SIX ETATS INTERMEDIAIRES

Je me prosterne aux pieds de tous les maîtres.
Dans l’écart entre les apparences et le Vide,
La vue n’a rien de transitoire ni d’éternel.
Les théories de l’imaginaire, je ne les saisis pas,
Non existantes, elles restent par-delà l’entendement.
Voici la vision intérieure du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas dans un cercle érudit.

Dans l’écart entre bonheur et vacuité,
Aucun calme mental n’est à fixer toujours.
L’esprit que l’on tient à l’étroit distille la détresse,
Je ne m’y exerce pas.
Je m’installe en l’état originel de l’attention.
Voici la méditation du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas chez d’habiles compagnons.

Dans l’écart entre sensualité et détachement,
Le bonheur mondain n’a plus aucun attrait.
Une règle hypocrite, une vie perverse, je ne m’y livre pas.
Tout ce qui apparaît me devient amical.
Voici le comportement du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas parmi d’autres yogis.

Dans l’écart entre vice et vertu,
Il n’y a rien d’impur ni d’absolument pur.
Prétention et imposture, je ne les pratique pas.
Je m’installe en témoin de ma propre conscience.
Voici l’engagement sacré du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas chez de hauts moralistes.

Dans l’écart entre samsâra et nirvâna,
Il n’y a plus de différence entre les êtres et le Bouddha.
Espoir ou crainte, après le Fruit je ne soupire pas.
L’affliction maintenant paraît telle une joie.
Voici l’accomplissement du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas dans un groupe de siddhas.

Dans l’écart entre les mots et leur sens,
Les théories du savant n’existent plus.
La perplexité, les doutes, je ne les produis pas.
Le monde visible se lève tel un corps de vérité.
Voici la réalisation du mendiant que je suis ;
Je n’en rougirais pas chez de grands érudits.