Biographie de

Octave Crémazie (1827-1879)

Après ses études faites au Séminaire de Québec, il devient associé en librairie avec ses deux frères Jacques et Joseph. Il consacre ses loisirs à la lecture et à la poésie. Il publie ses premiers vers dans le Journal de Québec. Les principaux poèmes qu’il a composés furent plus tard recueillis par ses amis et réunis en volume. Des revers de fortune, où il se trouva gravement compromis, l’obligèrent, en 1862, à quitter Québec et son pays. Crémazie se réfugia en France. Il vécut, à Paris, pauvre et isolé, sous le nom de Jules Fontaines. Il mourut au Havre le 16 janvier 1879. (Wikipédia)
Son poème le plus connu est sans aucun doute Le Drapeau de Carillon, un poème épique qui met en scène un vétéran de la bataille de Carillon qui conserve précieusement le vieux drapeau et qui le déploie après la messe, le dimanche, en présence de ses anciens compagnons d’armes. Déçu de ne pas voir la France envoyer ses bateaux afin de préserver la Nouvelle-France, il décide de s’embarquer pour aller voir le roi et le convaincre d’intervenir. Bien sûr, il reviendra bredouille sans révéler à ses compagnons son échec cuisant. Il mourra recouvert du vieux drapeau…
LE DRAPEAU DE CARILLON (EXTRAIT)
 […]
Un soir que, réunis autour de ce foyer,
Ces hôtes assidus écoutaient en silence
Les longs récits empreints de cet esprit guerrier
Qui seul adoucissait leur amère souffrance;
Ces récits qui semblaient à leurs coeurs désolés
Plus purs que l’aloès, plus doux que le cinname,
Le soldat, rappelant les beaux jours envolés,
Découvrit le projet que nourrissait son âme.
«Ô mes vieux compagnons de gloire et de malheur,
«Vous qu’un même désir autour de moi rassemble,
«Ma bouche, répondant au voeu de votre coeur,
«Vous dit, comme autrefois nous saurons vaincre ensemble.
«À ce grand roi pour qui nous avons combattu,
«Racontant les douleurs de notre sacrifice,
«J’oserai demander le secours attendu
«Qu’à ses fils malheureux doit sa main protectrice.
«Emportant avec moi ce drapeau glorieux,
«J’irai, pauvre soldat, jusqu’au pied de son trône,
«Et lui montrant ici ce joyau radieux
«Qu’il a laissé tomber de sa noble couronne,
«Ces enfants qui vers Dieu se tournant chaque soir,
«Mêlent toujours son nom à leur prière ardente,
«Je trouverai peut-être un cri de désespoir
«Pour attendrir son coeur et combler votre attente.»

À quelque temps de là, se confiant aux flots,
Le soldat s’éloignait des rives du grand fleuve,
Et dans son coeur, bercé des rêves les plus beaux,
Chantait l’illusion dont tout espoir s’abreuve.
De Saint-Malo bientôt il saluait les tours
Que cherche le marin au milieu de l’orage,
Et, retrouvant l’ardeur de ses premiers beaux jours,
De la vieille patrie il touchait le rivage.

Comme aux jours du Grand Roi, la France n’était plus
Du monde européen la reine et la maîtresse,
Et du vieux sang bourbon les héritiers déchus
L’abaissaient chaque jour par leur lâche faiblesse
Louis Quinze, cherchant des voluptés à flots,
N’avait pas entendu, dans sa torpeur étrange,
Deux voix qui s’élevaient pleines de longs sanglots,
L’une du Canada, l’autre des bords du Gange.

Sous ce ciel toujours pur où fleurit le lotus,
Où s’élèvent les murs de la riche Golconde,
Dupleix, portant son nom jusqu’aux bords de l’Indus,
À l’étendard français avait conquis un monde.
Le roi n’avait pas d’or pour aider ce héros,
Quand il en travait tant pour ses honteuses fêtes.
Abandonné, Dupleix aux mains de ses rivaux
Vit tomber en un jour le fruit de ses conquêtes.

De tout ce que le coeur regarde comme cher,
Des vertus dont le ciel fit le parfum de l’âme,
Voltaire alors riait de son rire d’enfer;
Et, d’un feu destructeur semant partout la flamme,
Menaçant à la fois et le trône et l’autel,
Il ébranlait le monde en son délire impie;
Et la cour avec lui, riant de l’Éternel,
N’avait plus d’autre Dieu que le dieu de l’orgie.

Quand le pauvre soldat avec son vieux drapeau
Essaya de franchir les portes de Versailles,
Les lâches courtisans à cet hôte nouveau,
Qui parlait de nos gens, de gloire, de batailles,
D’enfants abandonnés, des nobles sentiments
Que notre coeur bénit et que le ciel protège,
Demandaient, en riant de ses triste accents,
Ce qu’importaient au roi quelques arpents de neige!

Qu’importaient, en effet, à ce prince avili
Ces neiges où pleuraient, sur les plages lointaines,
Ces fidèles enfants qu’il vouait à l’oubli!……
La Dubarry régnait. De ses honteuses chaînes
Le vieux roi subissait l’ineffaçable affront;
Lui livrant les secrets de son âme indécise,
Il voyait, sans rougir, rejaillir su son front
Les éclats de la boue où sa main l’avait prise.

Après de vains efforts, ne pouvant voir son roi,
Le pauvre Canadien perdit toute espérance.
Seuls, quelques vieux soldats des jours de Fontenoi
En pleurant avec lui consolaient sa souffrance.
Ayant bu jusqu’au fond la coupe de douleur,
Enfin il s’éloigna de la France adorée.
Trompé dans son espoir, brisé par le malheur,
Qui dira les tourments de son âme navrée!

Du soldat, poursuivi par un destin fatal,
Le navire sombrait dans la mer en furie,
Au moment où ses yeux voyaient le ciel natal.
Mais, comme à Carillon, risquant encor sa vie,
Il arrachait aux flots son drapeau vénéré,
Et bientôt, retournant à sa demeure agreste,
Pleurant, il déposait cet étendard sacré,
De son espoir déçu touchant et dernier reste.

À ses vieux compagnons cachant son désespoir,
Refoulant les sanglots dont son âme était pleine,
Il disait que bientôt leurs yeux allaient revoir
Les soldats des Bourbons mettre un terme à leur peine.
De sa propre douleur il voulut souffrir seul;
Pour conserver intact le culte de la France,
Jamais sa main n’osa soulever le linceul
Où dormait pour toujours sa dernière espérance.

[…]

 Feuillet imprimé, Québec, s.é., 1858.