Les élections un poème de Joseph Lenoir

O fortunatos!
VIRGILE

La Discorde en fureur tombant sur notre ville
Dans tous les carrefours émeut la tourbe vile!
Elle se réveille à sa voix!
La plèbe qu’elle prend, sortant de son ornière,
Hâve, déguenillée, agitant sa crinière,
Commande dans la rue, en montant au pavois!

Tremblez tous! c’est son règne! Ardente, vagabonde,
Le sceptre qu’elle tient est le sceptre du monde!
Sous son bâton, ployez, genoux!
Arme terrible aux mains de cette folle reine,
Tous les coups qu’elle porte ensanglantent l’arène!
C’est le noble instrument d’un plus noble courroux!

Qu’il est beau de rugir et de tuer à l’aise!
Partisans amoureux de la coutume anglaise,
Encouragez vos assassins!
L’homme est si peu de chose et chose si profane,
Qu’il est presque amusant de voir briser un crâne!
Riez avec la mort... Elle aime les larcins.

Pourtant, deux jours durant, cette hideuse orgie
Devra hurler encor sur la neige rougie,
La neige de nos blancs hivers!
Durant deux jours bientôt d’affreuses saturnales
Paraderont, dansant leurs rondes infernales,
Avec leurs lourds habits, noirs, bleus, jaunes ou verts!

Et puis l’on soudoiera ces hordes forcenées!
L’argent a tant de prix chez les âmes bien nées
Qu’il maîtrise toutes clameurs!
Pour peu qu’une largesse ait été bien placée,
Soyez certain du cri, comme de la pensée.
Vous voterez pour tel, ou l’on vous dira: « meurs! »

Que nul n’ose jamais, dans un songe nocturne,
En place de ces jours mettre la classique urne,
Avec son muet bulletin!
Tout candidat vainqueur, ou méditant de l’être,
Étouffera ce rêve avant qu’il ait pu naître,
Pour piller sans remords l’électoral butin!

Ô peuple trop heureux! douce Nouvelle-France!
Chez toi mille bonheurs remplacent la souffrance!
Pays de pure élection!
Ne dis jamais à ceux que tu choisis pour maîtres
Que tu les honniras, s’ils sont fourbes ou traîtres
Rends-leur grâces toujours, ô sage nation!
PEUPLE Montréal, 24 novembre 1851.